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Publié le 22 Avril 2011 à 10h00 Par FC

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Chti -> Picard ? Chti = Picard ? Chti <- Picard ?

Chti -> Picard ? Chti = Picard ? Chti <- Picard ?

L'emploi de l'appellatif CHTIMI pour désigner les gens du Nord-Pas-de-Calais est de plus en plus répandu sous la forme apocopée CHTI. D'où viens ce mot ? De quand date-t-il ? La théorie de Gaston Esnault (Le poilu tel qu'il se parle, 1919) était que les créations verbales furent peu nombreuses pendant la guerre de 1914-1918. Il cite « le ch'timi, français du Nord et du Pas-de-Calais, picard, wallon » et indique que « le mot aurait été usuel avant 1914 ». Sans apporter aucune preuve, il généralise une théorie fondée sur certains sobriquets militaires désignant des régions d'origine : mahaut (bas-breton), bonhomme (normand), hildepute (béarnais, landais). Mais on a prouvé que pigouil (girondin) et grelu (haut-alpin) datent de 1915 et que boueux (marnais) n'est pas antérieur à 1917.

Nous sommes de l'avis d'Albert Dauzat (L'argot de la guerre, 1919) qui a montré que les mots nouveaux formaient un contingent important dans les longues listes qu'il avait reçues. Chtimi est de ceux-là. Aucun écrivain, dialectologue ou « patoisant » n'a utilisé ni même signalé ce mot avant 1914. Nous avons relevé de nombreuses attestations, mais seulement à partir de 1915 et sous des formes variables : timi, s'timi chetimi, ch'ti mie, ch tismis.

C'est le grand succès des Croix de bois de Roland Dorgelès (Prix Fémina 1919), qui fit connaître le mot, considéré comme nouveau, dans le grand public, grâce au personnage de Broucke, « le gars de ch'Nord, ch'timi aux yeux d'enfant ».


Ce terme est amusant, bien typé mais énigmatique. Écartons des explications fondées sur la croyance qu'une phrase fréquemment dite est à l'origine des sobriquets. L'une d'elles suppose une interrogation « ch'ti-mi ? » (Est-ce moi ?). Mais elle n'est pas particulièrement fréquente dans le Nord, où on dit plutôt en patois « Ch'est mi ? Ch'est jou mi ? ». Une autre explication fait venir le mot de « Chétif de moi », expression non attestée dans la région pour la bonne raison qu'en ancien picard *cactivus a donné caitis « malheureux » (avec le k dur caractéristique). C'est dans le Centre, une partie de la Bourgogne et de l'Ouest qu'on a ch'ti « pauvre, méchant » ; un ch'ti gars est un jeune un peu turbulent dans ces patois-là, mais non en domaine picard (Mélanges d'onomastique, linguistique et philologie, I, 986, p. 108-112).

Un sobriquet est un appellatif attribuéé par autrui. Un habitant de Montceau-les-Mines affirma en 1916 à un soldat du 33ème Régiment d'Infanterie (recruté dans le Nord avant 1915). que ses compatriotes aimaient bien les gars du Nord et que ce surnom leur avait été donné par eux (M. Lateur). « N'êtes-vous pas toujours avec vos ti et vos mi ? » (M. Lateur, Lexique des parlers populaires des régions minières d'Artois, 1951). Effectivement, dès le moyen âge, les picards se distinguaient par des singularités phonétiques et grammaticales. Il s'agit bien d'une création plaisante que les linguistes appellent « mot-valise », amalgame d'une suite de mots en un seul mot : che « ce » ou « le » + ti « toi » (latin tibi) + mi « moi » (latin mihi). C'est ainsi que les mots bretons bara « pain» et gwin « vin » ont formé baragouin.

Chtimi est aujourd'hui employé plus couramment que dans l'entre-deux-guerres. Il ne désigne plus seulement des soldats, et sa valeur péjorative s'est atténuée jusqu'à disparaître. Certains natifs, notamment des femmes, ont longtemps refusé d'être appelés ainsi. Mais aujourd'hui les nordistes ont exorcisé tout complexe d'infériorité, notamment dans les milieux sportifs, étudiants et militaires : ils emploient de plus en plus la forme réduite chti. Les argots usent fréquemment du vieux procédé de l'apocope : la der des ders, la cafèt', le bide (bidon) etc…. C'est resté longtemps un sobriquet élastique dans son acception géographique, comme nous l'avons montré par une enquête (Etudes de langue et de littérature françaises, Nancy, 1980, p. 541- 548).

Il y a vingt ans, au sud de la Loire, chtimi désignait ceux qui vivent au nord de Paris. Un Parisien était fort surpris quand nous lui disions: « Un tel n'est pas du Nord, il est d'Amiens » Pour des gens de la Somme, de l'Oise et de l'Aisne, c'était seulement les nordistes, Flandre maritime exceptée... Aujourd'hui, pour tous, un chtimi est un natif du Nord-Pas-de-Calais ainsi désigné à cause de son accent, par opposition à franc picard, que revendiquent pour eux seuls les Picards de la Somme.

Ce qui n'était qu'une taquinerie est devenu une sorte de totem.


C'est avec fierté que de fervents régionalistes arborent à l'arrière de leur voiture un autocollant CHTI. Cela fait pendant au PIC des sudistes! L'apostrophe interne, marqueur de style oral plus que d'élision, n'est plus nécessaire. On emploie maintenant le mot comme adjectif: la cuisine chti, un compact pur chti... Si notre sobriquet a fait fortune, c'est qu'il répond à un besoin d'identification, qu'il est de sonorité amusante...

L'emploi de ce terme est aujourd'hui général pour désigner familièrement des gens mais aussi le picard parlé et écrit dans le Nord-Pas-de-Calais. Le Chtimi de poche, par Alain Dawson (Assimile Evasion, 2002) connaît un grand succès. Ce patrimoine régional est essentiellement constitué par les vestiges d'un prestigieux dialecte du moyen âge. Au XIIIème siècle, Arras était l'un des plus importants centres littéraires d'Europe grâce à ses poèmes et à son théâtre en franco-picard.

Les parlers endogènes du Nord-Pas-de-Calais ne sont pas du français déformé : ils ont fait l'objet d'enquêtes minutieuses dont rendent compte les 660 cartes de notre Atlas linguistique et ethnographique picard (éditions du CNRS, 1989,1997).


Extrait de : "Le parler du Nord Pas-de-Calais"
Publié avec l'aimable autorisation que nous a accordée son auteur : Fernand Carton

Rédacteur

Fernand Carton

Fernand Carton

"Linguiste Professeur émérite de l'Université de Nancy, Fernand Carton est directeur de l'Atlas linguistique et ethnographique picard. Il est aussi l'auteur de Le parler du Nord-Pas-de-Calais, avec Denise Poulet (Bonneton, 2000) et de Littérature picarde aux siècles classiques (XVIIe-XVIIIe siècles) (Éditions Découverte du picard, 2007)"

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